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Читем онлайн Том 6. С того берега. Долг прежде всего - Александр Герцен

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Cette masse hétérogène s'établit dans notre esprit sans contrôle, sans coordination quelconque, ni analyse. Une fois arrivés à l'âge mûr, nous sommes trop occupés, trop paresseux et trop lâches pour citer un à un tous ces dogmes devant le tribunal de la critique et c'est ainsi que nous ne parvenons presque jamais à la clarté lucide du réalisme.

Cette confusion n'existe nulle part à un tel degré qu'en France. Les Français, ne vous en scandalisez pas, privés en général d'une éducation philosophique, comprennent avec une grande sagacité les résultats, mais ils les saisissent d'une manière abstraite, et ces résultats restent isolés, manquant d'ensemble, de méthode. De là vient nécessairement le vague de toutes les idées, des contradictions à chaque pas.

On est forcé, en France, de répéter les vérités les plus élémentaires, de revenir sur des principes qui n'étaient pas nouveaux du temps d'un Bacon ou d'un Spinoza. Il n'y a rien d'acquis chez vous, comme par exemple en Allemagne, sous le point de vue scientifique, en Angleterre sous le point de vue du droit. De là cette légèreté de changement dont nous sommes les continuels témoins. Une génération de révolutionnaires devient absolutiste. Après trois révolutions on en est encore à la question de la censure, de la prison préventive, de la transportation sans jugement, parce qu'il n'y a rien de gagné définitivement. Cette confusion s'est produite dans la science même par l'éclectisme de M. Cousin, qui lui a donné une organisation systématique.

Cette confusion règne dans tous les camps, chez les démocrates comme chez les absolutistes, à plus forte raison chez les modérés qui ne savent ce qu'ils veulent, ni ce qu'ils ne veulent pas[136].

Permettez-moi de vous citer un exemple récent de ce vague dans les idées de nos adversaires; je me propose, pour une autre fois, de prendre mon exemple au sein de la famille.

Les journaux royalistes et ultramontains ont cité avec enthousiasme un discours de M. Donoso Cortès. C'est un discours très remarquable sous beaucoup de rapports. L'orateur a profondément apprécié la terrible position de l'Europe actuelle, qui est à la veille d'un cataclysme inévitable, fatal. Le tableau qu'il en fait est palpitant de vérité. Il représente l'Europe désorganisée, impuissante, entraînée à sa perte, mourant de faiblesse, et le monde slave se ruant sur le monde germano-romain, pour se promener l'arme au bras par toute l'Europe.

Il dit: «Ne croyez pas que les catastrophes finissent là; les races slaves ne sont pas aux peuples de l'Occident ce que les races allemandes étaient au peuple romain. Non, les races slaves sont, depuis longtemps, en contact avec la civilisation… La Russie, placée au milieu de l'Europe conquise et prosternée à ses pieds, absorbera par tous les pores le poison qu'elle a bu et qui la tue. La Russie ne tardera pas à tomber en putréfaction. J'ignore le remède universel que Dieu tiendra prêt pour cette universelle pourriture».

Eh bien! En attendant cette panacée divine, savez-vous ce que propose cet homme qui a tracé ces paroles de Daniel?

Nous sommes honteux de le dire, il pense sauver le monde en faisant l'Angleterre catholique et en laissant le soin du salut continental aux armées permanentes et à l'autorité monarchique. Il veut détourner le terrible avenir en allant vers un passé qui n'existe presque plus.

Nous ne croyons pas à la pathologie du marquis de Valdegamas. Ou le danger n'est pas si grand, ou le remède est trop faible. – L'autorité royale est bien restaurée, ses armées permanentes ont le dessus, l'église triomphe, M. Thiers lui-même est devenu très catholique, la réaction ne laisse rien à désirer, – et pourtant le salut ne vient pas. – Est-ce parce que l'Angleterre persiste dans le schisme?

On accuse tous les jours les socialistes de n'être fort que dans la critique, dans la constatation du mal, dans la négation. Et vous-mêmes, messieurs les antisocialistes?

Pour comble de confusion, la rédaction d'un journal blanc poudre de perle a inséré dans la même feuille, où elle se répand en compliments pour M. Donoso Cortès, les fragments d'une compilation historique (assez médiocre). On y raconte sur les premiers siècles de la chrétienté des faits qui réfutent complètement le point de vue de M. Cortès.

M. Cortès se place exactement sur le terrain des conservateurs romains, tels que Pline, Trajan, Dioclétien, Julien etc. Il voit comme eux le voyaient, par rapport à Rome, la dissolution de l'état actuel del'Europe, – il en frémit, ce qui est très naturel, car il y a de quoi frémir, – et désire sauver, à tout prix, cette société mourante. Pour la sauver, il cherche les moyens d'arrêter l'avenir.

Dans son raisonnement il part (comme les romains) d'une donnée fausse, d'une supposition sans preuve, d'une opinion exclusive. Il pense que les formes actuelles de l'existence sociale, telles qu'elles ont été élaborées par l'action mutuelle des trois éléments de l'histoire européenne: l'élément romain, chrétien et germanique, – sont les seules possibles. Pourtant nous voyons dans l'histoire ancienne et dans l'Orient contemporain des bases sociales toutes différentes, peut-être inférieures, mais d'une énorme solidité.

M. Cortès suppose que la civilisation ne peut se développer que dans les formes politiques de l'Europe actuelle. Et pourtant la Grèce et Rome sont là pour prouver le contraire. Il est facile de dire (comme l'a fait l'orateur) que le monde ancien a été cultivé et non civilisé. C'est de la scolastique, de pareilles distinctions n'ont de succès qu'en théologie. La civilisation du monde antique a été une civilisation de minorité, comme la nôtre. Comme la nôtre, pour être possible, elle avait besoin d'antropo-phagie. Mais il ne s'ensuit pas encore qu'on ait le droit de donner la préférance au monde moderne, si préférance il y a, sous ces dénominations de culture et de civilisation. Le monde qui a commencé par l'Iliade, qui a produit Phydias, qui s'est résumé dans un Aristote, et qui, vers son déclin, terminait sa belle carrière par Horace, était bien cultivé et bien civilisé. M. Cortès n'a pas même remarqué qu'en disant lui-même que la seule source de notre civilisation est le christianisme, il en a reconnu le caractère historique, c'est-à-dire temporel. Loin de voir l'aube matinale d'une nouvelle journée, d'une civilisation beaucoup plus humaine encore que la civilisation chrétienne, M. Cortès, toujours tourné vers le passé, ne voit que la dissolution des formes absolues pour lui, et au delà la barbarie et l'invasion russe.

Frappé de cette lugubre perspective, il cherche des moyens de salut; mais où trouver un point d'appui, quelque chose de stable dans ce monde agonisant? Tout est «pourriture», tout se décompose… Poussé par le désespoir, il s'adresse à la mort morale et à la mort physique; il veut s'appuyer sur le soldat et sur le prêtre.

Quelle est donc cette organisation sociale qui demande de pareils moyens de salut?

Et quelle qu'elle soit, vaut-elle la peine d'être conservée à ce prix?

Nous sommes d'accord avec M. Cortès, l'Europe telle qu'elle est à présent, s'en va. Le socialisme, dès sa première apparition, depuis le saint-simonisme, l'a dit; sur ce point toutes les écoles socialistes ont été d'accord.

La grande différence entre les révolutionnaires politiques et les socialistes consiste en ce que les hommes politiques voulaient faire des réformes et des améliorations en restant sur le même terrain que le monde catholique. Le socialisme, au contraire, a proclamé la négation la plus complète de l'ordre des choses existant, il a nié la monarchie et la représentation souveraine, les tribunaux et les droits, le code civil et le code criminel, il a nié l'Europe féodale, catholique, comme le faisaient, par rapport à Rome, Saint Paul ou Saint Augustin, ces hommes qui disaient en face aux Romains: «Pour nous, vos vertus sont des vices, votre sagesse est folie; comme il en est pour vous de notre sainte foi».

Une pareille négation, si elle s'enracine et se répand, si elle agite toute une génération, n'est pas un caprice d'une imagination maladive, elle n'est pas le cri individuel d'une âme froissée par le monde, mais bien un arrêt de mort prononcé contre un monde décrépit et qui ne tardera pas à être exécuté.

L'Europe actuelle tombera sous la protestation du socialisme, non seulement parce que son iniquité est devenue manifeste, mais encore parce qu'elle a épuisé toutes ses forces vitales, absorbé son propre sang, sa pulpe nerveuse; parce qu'enfin elle n'est plus capable de continuer son développement: elle n'a rien à faire, rien à dire, rien à produire; elle se jette dans le passé pour fuir l'avenir; elle réduit son activité au conservatisme; elle n'agit pas: elle garde sa place!

Vous voulez arrêter l'accomplissement des événements que vous prévoyez! Mais que conservez-vous donc avec tant de zèle, avec tant d'obstination?.. Vous pouvez réussir pour un temps quelconque, je ne dis pas le contraire.

Telle est la part du lion de la volonté humaine dans les affaires d'histoire; l'histoire n'a nullement ce caractère de prédestination forcée qu'on enseigne dans les écoles catholiques et qu'on prêche dans les églises philosophiques. Elle a un élément très variable dans sa formule; c'est l'élément de la volonté subjective. L'homme improvise, il crée. Mais naturellement, cet élément a ses bornes et ses conditions; et ce n'est pas une révolution universelle qui pourrait être arrêtée pour longtemps par des regrets et par des violences.

On peut encore concevoir qu'en donnant le change aux esprits, en les éblouissant, en les trompant, par un but fantastique, on rend impossible la résistance. Napoléon l'a prouvé. Mais est-ce par des moyens pareils que procède la réaction?

Les deux moyens de M. Cortès sont le retour à l'autorité monarchique et à la foi catholique, c'est-à-dire à la superstition et à la terreur.

Mais en premier lieu, nous demanderons à M. Cortès comment nous ferons pour avoir une foi que nous n'avons plus, pour ne pas douter là, où nous doutons, ne pas savoir ce que nous connaissons? Cette question n'est pas nouvelle, Byron lʹа déjà posée à une dame piétiste qui voulait le convertir au schisme de l'église anglicane.

Donc, il ne reste que la terreur.

On pardonne beaucoup en faveur du progrès, et pourtant la terreur, lorsqu'elle se fit, même au nom du progrès et de la liberté, souleva avec raison tous les cœurs généreux.

Et la réaction demande la terreur comme moyen de répression, pour maintenir un statu quo, dont la décrépitude et l'impuissance ont été constatées avec tant d'énergie par notre orateur. Elle veut la terreur pour reculer, elle veut consacrer l'enfance pour nourrir le père cacochyme.

Avez-vous sérieusement pensé au sang qu'il vous faudra répandre pour retourner aux temps heureux de l'édit de Nantes et de l'inquisition? Remarquez-le bien, je ne dis pas que cela soit impossible, je connais trop le genre humain pour en douter; mais cela ne sera possible que lorsqu'on se permettra des Saint-Barthélémy et des massacres de Septembre. Il vous faudra, pour cela, assassiner tout ce qu'il y a d'énergique dans notre génération, déporter, décimer tout ce qui pense, écrit, agit; il vous faudra enfoncer le Peuple encore plus dans l'ignorance et le spolier complètement pour augmenter ses armées permanentes, il vous faudra passer par un infanticide moral de toute la génération suivante… et tout cela pour sauver une forme sociale épuisée, qui ne suffit plus ni à vous, ni à nous, pour se préserver de la barbarie et de l'invasion russe, au nom de la civilisation.

Mais où est, de grâce, la différence entre l'invasion russe, la barbarie et votre civilisation catholique?

Sacrifier des hommes, des générations, le développement d'une époque entière à l'état actuel. Y pensez-vous, philanthropes chrétiens? Mais est-ce qu'en général ce Moloch d'Etat est le but de l'homme; autant vaudrait dire que le gant est le but de la main ou le toit le but de la maison. Quant à moi, je ne connais aucune forme d'existence sociale, aucune question politique, patriotique ou théologique, pour laquelle je voulusse donner la bénédiction à l'assassinat, pour laquelle je voulusse proposer de sacrifier un seul être humain. L'homme a bien le droit de se dévouer, de se sacrifier lui-même. Mais, en vérité, l'héroïsme de l'abnégation pour les autres est trop facile pour être une vertu. Il arrive, par malheur, qu'au milieu des orages populaires, les passions longtemps comprimées se déchaînent, sanguinaires et implacables, sans ménagements et miséricorde; nous pouvons les comprendre, les accepter, en nous couvrant la tête, mais les élever à la hauteur d'une théorie, les recommander comme moyen, jamais!

Et n'est-ce pas cela que fait M. Cortès en se faisant le panégyriste du soldat discipliné de l'armée permanente?

Vous dites que le prêtre et le soldat sont beaucoup plus près (l'un de l'autre) qu'on ne le pense; aveu sinistre! – Ce sont les deux extrémités qui se rapprochent, comme ces deux ennemis restés seuls sur la terre dans «Les Ténèbres» de Byron, lorsque tout ce qui était entre eux a péri. C'est sur les ruines du vieux monde que les derniers représentants de l'esclavage moral et de l'esclavage physique se donnent la main pour le sauver.

L'église chrétienne s'est servie des soldats dès le jour où elle devint religion d'Etat. C'est vrai, mais jamais elle n'osa avouer cette apostasie; elle sentait bien ce que cette alliance avait de mensonger, d'hypocrite; c'était une des mille concessions qu'elle faisait au temporel, tant méprisé par elle. N'en voulons pas à l'Eglise pour cela, c'était une nécessité dictée par la force des choses, et qui tenait à l'essence même de la doctrine chrétienne, éminemment transcendantale, utopique. L'étique abstraite de l'Evangile ne fut jamais qu'un noble rêve, sans aucune chance de se réaliser.

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